Les probiotiques : une piste prometteuse dans la maladie d’Alzheimer

Bleu-Blanc-Coeur

25/07/23
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Article rédigé par Mounir Belkouch, Dr. en Neurosciences et ambassadeur Bleu-Blanc-Cœur.

Quels liens entre microbiote et déclin cognitif ?

Le principal facteur de risque de maladie d’Alzheimer est l’âge : l’incidence de la maladie augmente après 65 ans et explose après 80 ans d’après l’INSERM. D’un point de vue biologique, il est admis que le vieillissement est aussi associé à une diminution de la richesse et de la diversité bactérienne au sein de notre flore ou microbiote intestinal : on parle alors de dysbiose intestinale.

Focus sur les probiotiques 🔎

Des probiotiques peuvent être utilisés en cas de dysbiose pour aider le microbiote : il s’agit de souches de bactéries bénéfiques pouvant avoir différentes propriétés et qui s’installent aux côtés des autres bactéries de l’intestin. Des probiotiques sont présents naturellement dans les aliments fermentés (ex : yaourt) et certaines souches, dont l’intérêt a été démontré dans des essais cliniques, sont proposées en pharmacies.

Chez les patients touchés par la maladie d’Alzheimer, un déséquilibre de la composition qualitative et/ou quantitative de leur microbiote intestinal apparait clairement comparativement à des personnes saines. 1 Ce phénomène est notamment associé à une modification des niveaux de biomarqueurs présents dans le liquide céphalo-rachidien et impliqués dans la maladie d’Alzheimer (peptide amyloïde β et protéines Tau phosphorylées).

Une détérioration de la composition microbienne au niveau de l’intestin provoque un état de perméabilité intestinale. Cela engendre un risque plus accru d’infections, d’autant que la barrière hémato-encéphalique, qui isole le système nerveux central de la circulation sanguine par un filtrage très sélectif, est elle-même altérée dans la maladie d’Alzheimer. Comme le suggèrent certaines études, la dysbiose impacterait alors négativement la fonction cognitive du fait du passage non souhaité d’éléments microbiens au niveau cérébral et de la hausse des marqueurs de l’inflammation.2, 3

Dans ce contexte, de nouvelles thématiques de recherche émergent depuis quelques années afin de comprendre le rôle que peut jouer la microflore intestinale dans la prévention et le traitement de certaines maladies du cerveau. En particulier, l’axe microbiote-intestin-cerveau est de plus en plus étudié et analysé au sein de la communauté scientifique4 :

  • Les équipes de recherche de Magnusson et al. 5 et Chen et al. 6, ont mis en évidence un lien de cause à effet entre une altération de la fonction digestive et l’apparition de troubles cognitifs.
  • Quelques études récentes menées aussi bien chez l’animal que l’humain ont exploré l’impact des probiotiques sur la santé mentale.
  • Un lien bénéfique avéré a été montré entre l’utilisation de différentes souches probiotiques et la protection contre les troubles neurologiques et psychiatriques.

Ces études soulignent, plus précisément, les bienfaits des probiotiques dans des maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson),7-11 et neuropsychiatriques (troubles de l’humeur, stress, anxiété, symptômes dépressifs),12-16 une vertu jusqu’alors insoupçonnée.

Intérêts des probiotiques pour ralentir la maladie d’Alzheimer

Des chercheurs ont étudié les effets d’un traitement par probiotiques (souches Lactobacillus acidophilus, Lactobacillus casei, Bifidobacterium bifidum et Lactobacillus fermentum) vs placebo chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.17 La fonction cognitive des patients a été mesurée avant et après les 12 semaines de traitement via le Mini-Mental State Examination (MMSE).

Le MMSE est un outil de dépistage pour évaluer les troubles cognitifs (notamment les troubles de la mémoire) et leur évolution dans le temps.

Le traitement probiotique a permis d’améliorer le score MMSE de +27,9%, vs une diminution de -5,03% dans le groupe témoin. Outre le score cognitif, les chercheurs ont montré également des effets positifs des probiotiques utilisés sur des marqueurs du stress oxydatif, de l’inflammation, du métabolisme du glucose et de l’insuline et sur les niveaux plasmatiques de triglycérides chez les patients malades.

Par ailleurs, une étude scientifique de 2017 publiée dans la revue Neurobiology of aging, rapporte les conséquences d’une dysbiose chez des personnes âgées atteintes de déclin cognitif et présentant une accumulation de plaques amyloïdes dans le cerveau. Plus précisément, les chercheurs ont montré une association entre l’abondance de germes pathogènes pro-inflammatoires (Escherichia/Shigella), la réduction de germes anti-inflammatoires (E. rectale) et le développement d’une inflammation périphérique chez les patients malades.19

Une étude clinique incluant des sujets âgés en bonne santé a montré un effet positif sur le plan cognitif avec les souches Bifidobacterium bifidum et longum administrées pendant 12 semaines.22 Les chercheurs ont relevé une augmentation des niveaux de BDNF qui est un facteur neurotrophique (protéine responsable de la croissance et de la survie des neurones), ainsi qu’un meilleur score de stress chez les patients supplémentés avec les probiotiques comparativement au groupe ayant reçu un placebo. L’inflammation induite au niveau du microbiote intestinal est significativement réduite après 12 semaines de traitement probiotique.

Des médiateurs de l’inflammation à suivre de près ! 🔎

Les médiateurs de l’inflammation constituent un lien physiopathologique entre le microbiote intestinal et le développement de la maladie d’Alzheimer.20,21 Certains médiateurs de l’inflammation, notamment les cytokines pro-inflammatoires, ainsi que les lipopolysaccharides ou LPS bactériens, sont corrélés à la présence anormale de plaques amyloïdes, caractéristique de la maladie d’Alzheimer. L’état inflammatoire est associé à une altération des cellules endothéliales des vaisseaux sanguins. À l’inverse, le butyrate, un acide gras à courte chaîne, et la cytokine IL-10, tous deux anti-inflammatoires, sont négativement corrélés à la dysfonction endothéliale, ils sont donc protecteurs.

Quid des acides gras oméga 3 ?

  • Les oméga 3 permettent d’agir sur les médiateurs de l’inflammation impliqués dans la maladie d’Alzheimer afin de minimiser l’inflammation associée.
  • Les oméga 3 sont impliqués dans la préservation des neurones et de la plasticité synaptique et donc contribuent à prévenir et limiter le déclin cognitif.
  • Les oméga 3 semblent moduler de façon bénéfique le microbiote intestinal, que ce soit en situation pathologique ou en situation saine.

Pour aller plus loin :

👉 Webinaire sur les effets bénéfiques des oméga 3 sur le microbiote intestinal

👉 Thèse sur l’implication des oméga 3 dans la maladie d’Alzheimer

👉 Article « Graines de lin et activité physique : quels bénéfices sur notre microbiote intestinal ? ».

Rééquilibrer son microbiote buccal pour prévenir Alzheimer ?

De manière intéressante, une association a été mise en évidence entre affection parodontale (paradontite), accélération du déclin cognitif et présence d’un état inflammatoire dans la maladie d’Alzheimer.23 Plus précisément, des données récentes suggèrent qu’il existe un lien important entre une bactérie responsable de la gingivite et le risque de développer la maladie d’Alzheimer.24, 25 La bactérie en cause serait Porphyromonas gingivalis. Elle est capable d’infecter le cerveau et de produire une protéine : la gingipaïne, une enzyme neurotoxique. De plus, elle est associée à une production plus importante de peptides bêta-amyloïdes, connus pour être impliqués dans la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer. La gingipaïne est une cible thérapeutique dont l’inhibition serait favorable en préventif.26 Des souches probiotiques sont particulièrement efficaces pour prévenir les maladies parodontales en agissant sur le microbiote buccal ; cela pourrait expliquer les effets bénéfiques de ces probiotiques sur la maladie d’Alzheimer.

Les probiotiques auraient donc plusieurs cibles d’actions au niveau des microbiotes de l’intestin et de la bouche, conduisant aux effets positifs neuroprotecteurs observés sur la maladie d’Alzheimer. Ces bactéries combinent des actions anti-inflammatoires, mais aussi immunomodulatrices et antioxydantes. Une stratégie nutritionnelle à base de souches spécifiques pourrait alors ralentir l’altération des neurones et l’apparition de démence.27, 28

Améliorer la mémoire et l’apprentissage des patients avec des probiotiques ?

Certaines souches présenteraient aussi un intérêt pour lutter contre les troubles de la mémoire et les déficits d’apprentissage (montré chez le rongeur et l’humain), en régulant notamment la production, le transport et le fonctionnement des messagers cérébraux que sont les neurotransmetteurs. Autrement dit, maintenir un simple équilibre de notre microbiote pourrait agir favorablement, à un stade précoce, sur la « mémoire » des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

Ces découvertes sont novatrices et soulignent le rôle bénéfique que peuvent jouer les probiotiques sur notre cerveau. Il s’agit cependant de résultats préliminaires qui doivent être confirmés par des études cliniques plus larges chez l’être humain, identifiant les souches bactériennes, les doses efficaces et les mécanismes associés pour envisager l’usage de probiotiques dans la prise en charge des maladies neurodégénératives comme Alzheimer.

Vous souhaitez savoir comment s’alimenter pour limiter le déclin cognitif ?

👩‍⚕️ Consultez l’article de Célia Mores, Dr. en Neurosciences et ambassadrice Bleu-Blanc-Cœur

Bibliographie

1: Vogt NM, Kerby RL, Dill-McFarland KA et al. (2017). Gut microbiome alterations in Alzheimer’s disease. Sci Rep. 7(1):13537.

2: Hill JM, Lukiw WJ (2015). Microbial-generated amyloids and Alzheimer’s disease (AD). Front Aging Neurosci. 7:9.

3: Stadlbauer V, Engertsberger L, Komarova I et al. (2020). Dysbiosis, gut barrier dysfunction and inflammation in dementia: a pilot study. BMC Geriatr. 20(1):248.

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6: Chen Y, Xu J, Chen Y (2021). Regulation of Neurotransmitters by the Gut Microbiota and Effects on Cognition in Neurological Disorders. Nutrients. 13(6):2099.

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11: Guo L, Xu J, Du Y et al. (2021). Effects of gut microbiota and probiotics on Alzheimer’s disease. Transl Neurosci. 12(1):573-580.

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27: Bonfili L, Cecarini V, Berardi S et al. (2017). Microbiota modulation counteracts Alzheimer’s disease progression influencing neuronal proteolysis and gut hormones plasma levels. Sci. Rep. 7, 2426.

28: Xiao J, Katsumata N, Bernier F et al. (2020). Probiotic Bifidobacterium breve in Improving Cognitive Functions of Older Adults with Suspected Mild Cognitive Impairment: A Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial. J. Alzheimer’s Dis. 77, 139–147.

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